XV°- L’invasion du Tibet
« La chance allait tourner quand la Chine de Mao-Tse-Toung, après s'être débarrassée des armées de Chang-kai-chek, décide de récupérer son bien. Devant la menace, le jeune 14ème Dalaï-Lama prend ses fonctions, par anticipation, à l'âge de 16 ans (également narré dans le film « Kundun »). La Chine pénètre au Tibet en 1950 et signe un traité avec l'Inde qui entérine le retour du Tibet au sein de l'Empire chinois tout en garantissant le maintien de l'autonomie interne du pays, de la tradition religieuse et de l'autorité du Dalaï-Lama et du Panchen-Lama.
Alors un gouvernement favorable aux Chinois se met en place à Lhassa, créé des coopératives agricoles qui diversifient la production céréalière. Les Chinois ne peuvent convaincre les moines de travailler à la construction de nouvelles routes et coupent les monastères de toutes ressources. Ils vident les réserves d'orge des villages et quelques années après, des famines comme le pays n'en avait jamais connues, vont faire entre 500 000 et 1 million de morts ! Des émeutes où se mêlent de nombreux lamas se multiplient dans tout le pays et le peuple demande au Dalaï-Lama de prendre la tête d'un soulèvement, mais que faire devant des troupes prêtes à tirer sans discernement ?
Je le redis mais, le film « Kundun » retrace très bien ces événements. Les paysans fuient dans la montagne. Alors les avions chinois vont tirer sur tout ce qui bouge sur les hauts-plateaux, déciment les animaux à la mitrailleuse et jettent des appas empoisonnés. Des espèces rares, comme le cheval de Prejwalski auraient disparu. Il y aura des centaines de milliers de morts et ceux des hauts-plateaux ne parleront plus. Dans les vallées, les enfants de plus de 2 ans sont retirés à leur mère pour être envoyés dans des camps à la frontière chinoise où ils recevront une éducation 100% chinoise.
Le 10 mars 1959, la population de Lhassa, ayant appris que les Chinois essayent d'attirer de Dalaï-Lama dans un guet-apens, se soulève et oblige ce dernier à fuir. Il se réfugie contre son gré en Inde où le gouvernement lui assigne comme résidence Dharamsala. Des centaines de milliers de Tibétains le suivent alors en exil. Les lamas des anciennes religions Karmapa, Kargyügpa, etc... seront les premiers à venir s'installer en Occident, ils viendront diffuser la doctrine, la leur, où ils font passer le message de leur différence, de leur mantras, etc... et non le message du Bouddha qui est universel ».
« Si l'histoire s'était arrêtée là, il n'y aurait eu que demi mal. Mais le pire était à venir. Le passage de la révolution culturelle et des gardes rouges dans les années 70 eut pour conséquence le pillage des lieux culturels, l'incendie des bibliothèques et la perte de nombreux textes rares qui dataient de plus de 1000 ans, la destruction de près de 2000 édifices religieux et monastères ! Des rapports chinois notent 11 tonnes d'or dans un seul de ces temples détruits !
Toutes les richesses accumulées par tout un peuple pendant des siècles étaient réduites en cendres, dispersées ou volées. Après la destruction de tous les livres tibétains, la campagne de scolarisation oblige les Tibétains à pratiquer la langue chinoise qui n'avait jamais été parlée chez eux. Le drame est que le tibétain est une langue bâtie avec un alphabet et qui peut donc facilement intégrer tout les apports de vocabulaire de l'Occident. En obligeant les Tibétains à passer par les signes chinois, ce qui signifie près de 10 années perdues à apprendre les signes, la tâche est impossible et relègue la population tibétaine au rang de sous-prolétariat dans son propre pays ».
« Le Panchen-Lama tente, le plus longtemps possible, de pactiser avec les Chinois, mais va s'apercevoir que ceux-ci le trompent. Il rédige alors un manifeste en 70 000 caractères chinois pour dénoncer le génocide. Ce rapport nous est d’ailleurs parvenu en occident. Le Panchen-Lama sera emprisonné, humilié publiquement et enfin empoisonné. Alors que la procédure de recherche d'un successeur se met en place, les Chinois font la sourde oreille mais les moines persistent et nomment, sans en référer aux Chinois, un nouveau Panchen-Lama. Le Dalaï-Lama qui aurait dû, peut-être, temporairement se taire, reconnaît l'enfant. Les Chinois (dont la susceptibilité dépasse toute mesure) vont réagir violemment : ils vont emprisonner l'enfant et sa famille puis les faire disparaître. Ils nomment un autre Panchen-Lama, fils d'une famille pro-chinoise, et décident de rééduquer les moines des monastères qui seront obligés de profaner le nom du Dalaï-Lama et de détruire toute représentation de celui-ci. Des mini-émeutes se multiplient et de nombreux moines disparaissent.
En automne 97, un froid exceptionnel décime les troupeaux des hauts plateaux au nord-est de Lhassa, et plus de 50 000 nomades vont mourir de faim et de froid (les greniers d'orge n'existent plus). Pour ne pas que l'Occident et les organisations caritatives soient prévenues à temps, le seul occidental qui travaillait à Lhassa pour le compte d'une association subventionnée par la Communauté Européenne est alors expulsé avant que la nouvelle ne puisse lui parvenir. On ne comprendra que trois mois plus tard. Aujourd'hui, la campagne de ré-éducation se généralise dans tout le pays, comme aux heures les plus sombres du communisme ».
XVI°- Le Tibet aujourd’hui
« Malgré le nombre croissant de Chinois qui viennent occuper des emplois administratifs au Tibet, les Tibétains continuent à pratiquer leur foi et leur situation ressemble à celle qui fut la nôtre en 1942. Alors même que des Chinois au Tibet adoptent les mœurs du Tibet, que des Chinois en Chine même critiquent l'attitude de leur gouvernement, l'Occident regarde tout cela avec la plus grande indifférence ! Il existe d'autres peuples qui souffrent dans le monde, mais qui demain ne demanderont qu'à en découdre avec leur voisins, à renouer avec les guerres tribales. Ici, il n’y a qu’un peuple courageux et pacifique qu’une relation avec le bouddhisme par un fil invisible relie aux grands mouvements de pensées de l'humanité et aux philosophes modernes.
La question est : comment situer le bouddhisme à la fin de ce siècle ? Le bouddhisme demande de combattre l'agressivité, l'ignorance et le désir de biens matériels (symbolisés par le coq, le porc et le serpent dans la « Roue de la Vie »). Or, les problèmes à affronter ne sont-ils pas la lutte pour la paix, l'adaptation de l'homme aux nouvelles technologies et le respect de l'environnement lié au partage des richesses terrestres. Quel autre mode de pensée pourrait mieux s'adapter à notre futur mode de vie si nous possédons un minimum d'humanité ? Il y trouvera même une synthèse entre des modes de pensée qui hier encore s'affrontaient (l'athéisme et le religieux).
Je n’ai pas eu encore la chance de me rendre au Tibet, mais ceux qui ont eu cette occasion racontent qu’après plusieurs séjours, il y découvre une dimension de l'exercice du Bouddhisme qui leur avait échappé. Notre quête universelle est bien de surmonter les souffrances, de rechercher le bonheur, voire l'amour. Dans la recherche du bonheur, l'Occident a privilégié le travail acharné qui permet l'accès à l'argent puis à l'acquisition de menus plaisirs : des gadgets high-tech, des bijoux, une jolie maison ou une belle voiture, des bons restaurants, des vêtements à la dernière mode, etc... Notre mode de vie occidental (notamment celui des Etats-Unis) est devenu un modèle dans le monde, du moins le croyons nous ! Chez nous, c'est le bonheur qu'on achète, au Tibet, c'est l'amour donné et reçu qui fait le sublime de la dimension bouddhiste de ce pays. Ici, personne n'est prêt à échanger son âme pour les mirages de l'Occident. Ceci n'a échappé ni à Francis Edward Younghusband, ni à Alexandra David-Néel, ni à tous ceux qui en quittant ce pays ont essuyé une larme, car ils quittaient un environnement, un monde qu'ils ne retrouveraient nulle part ailleurs et qui restera un modèle dans l'aventure humaine.
Quand on est Tibétain au Tibet aujourd'hui et qu'on a 20 ans, on ne pense pas à la moto que l'on va acheter, ni au nouvel i-pad ou au dernier gadget vestimentaire à la mode. Au détour d'un chemin près du monastère de Rongbruk (à 5400m d’haltitude), on peut rencontrer des équipes d'adolescents qui participent à la reconstruction des monastères. Ils sont en général jeunes et chantent régulièrement du lever au coucher du soleil. Les jeunes femmes font le ciment, les hommes portent les blocs de pierre, leurs vêtements sont élimés, leur corps frêle mais leur regard rempli de joie.
Il y a comme cela des regards si purs, si rayonnants, comme nous n'en avons jamais ou rarement rencontrés auparavant, qui nous interpellent et que nous ne pourrons plus jamais oublier. Il y a dans ces chants, une joie, une fraîcheur, une gravité qui hanteront nos nuits en quête de sommeil. En fait, plus que les paysages grandioses, les temples couverts de feuilles d'or, ce sont bien ces expressions de bonheur et d'amour qu'on lit sur ces visages qui font que tous les étrangers furent fascinés par ce pays.
Sur place, cela donne forcement envie de s’arrêter et de rester quelques heures avec eux pour les accompagner dans leur travail. On ne vous demandera pas l'aumône, à vous qui avez peut-être sur vous plus d'argent qu'ils n'en gagneront en 10 ans ou dans une vie, car désormais vous avez pris conscience que, ce que vous ferez ou vous donnerez ne regarde que vous seul, c'est votre problème, c'est vous seul qui amènerez votre âme ou votre esprit dans la voie que vous aurez choisie, et pourquoi pas dans cette voie que des Tibétains ont su rencontrer et qui n'est peut-être pas si inaccessible ».
FIN