mudmännchen a écrit :il y a bien ce moment où une coupure se fait et où l'on doit s'adapter à de nouvelles situations désormais présentes.
Pour reprendre tes termes, « la coupure se fait », s'impose même, à cause de notre soif permanente de devenir et de prolongement, notre désir d’éternité. Au centre de cette soif, il y à la croyance en un « Soi » individuel, unitaire et durable et ceci est véritablement le problème (disons d’un point de vue bouddhique). Car ce Soi identitaire dépend d’une nébuleuse d’évènements fugaces et transitoires, et ne saurait assurer notre pérennité en tant qu’être vivant et pensant. En regardant bien les choses, nous ne sommes effectivement plus le jeune enfant ou l'ado que nous étions il y à quelques années.
En fait, sans nous en rendre compte, inlassablement, nous reconstruisons ce Soi en nous appuyant sur l’apparence de notre corps, sur nos sensations, nos sentiments et nos représentations mentales, nos souvenirs, nos habitudes et nos routines, nos expériences bonne et mauvaise et tout ce que nous croyons connaître de la réalité (que cela soit d'ailleurs vrai ou faux). Dès lors, pour contrer l’évidence de l’impermanence et répondre au sentiment angoissant de n’être rien, nous nous empressons de répondre : « Je suis quelque chose, quelqu’un ». Mais ce « Moi » auquel nous nous accrochons n’est qu’un fragile faisceau de représentations de nous-même, menaçant de se défaire à tout moment. Malgré cela, nous ressentons le besoin de nous agripper à cette identité comme à notre être fondamental, parce que nous croyons fermement qu’elle donne un sens à notre vie. C’est bien là l’erreur… Car finalement, s’adapter, accepter, refouler ou tourner la page, ne sert pas à grand-chose car irrémédiablement une nouvelle situation de souffrance se présentera à son tour. Il n'y à là véritablement aucun sens à s'adapter...
mudmännchen a écrit :ce travail d'adaptation n'est pas facile lorsque l'on est, par la force des choses, détaché de nos "possessions présentes".
Ce n'est pas simple, je le conçois. Pour mieux comprendre cette sournoise notion d’attachement aux choses, il nous faut savoir qu’il nous est difficile de maintenir la croyance en un noyau solide de personnalité sans projeter cette solidité sur l’extérieur. Et c’est bien pourquoi nous cherchons sans cesses à créer les éléments d’un bonheur durable en misant sur la possibilité de contrôler les êtres et les choses qui nous entourent. Progressivement, au « Moi » s’adjoint donc le « Mien », le sentiment illusoire que l’on possède quelque chose. Même si on ne saurait jouir durablement de ce qui est impermanent, nous attribuons néanmoins de la solidité et une réalité durable aux choses extérieures (en l’occurrence l’amitié avec tes amis).
Sans vraiment le vouloir, j’en arrive à évoquer l'une de nos grande méprise, celle qui consiste à prendre pour plaisant ce qui n’est qu’une cause de souffrance. Cette croyance censée consolider notre réalité est aussi erronée que celle qui consite à prendre pour éternel ce qui est impermanent. Automatiquement, le fait de s’agripper à des phénomènes fugaces comme s’ils étaient stables ne peut qu’engendrer de la souffrance.
mudmännchen a écrit :comment "lutter" contre le manque de quelqu'un qui s'en va ?
(Ma situation [...] pourrait se comparer au deuil d'une personne chère je suppose.)
J’ai moi même déjà vécu des séparations douloureuses et tout récemment la disparition d’un proche parent. Pour reprendre ta comparaison avec le deuil d’une personne, c’est délicat et probablement prétentieux de vouloir de te donner un conseil ou un avis car si nous sommes tous égaux devant l’obligation de faire face à la séparation d’un être cher, chacun diffère quant à la manière de s’y préparer.
Toutefois, ce que je peux te dire, c’est que le bouddhisme nous invite justement à sortir de cette forme d’amnésie, à voir la mort ou la séparation d’un proche comme un passage et non une fin. Celle-ci devient alors un fait non seulement pleinement accepté, mais elle est aussi et surtout un sujet central de réflexion, d’étude et d’entraînement spirituel pour penser autrement notre existence et donc notre devenir. Ce que je dis ici (et qui n'engage que moi) peut être assimilé au processus de « lutte » auquel tu aspire, bien que je préfererais plutôt celui de compréhension. Ce processus doit se faire selon ses propres dispositions et au rythme de chacun.
Bien à toi.
Bhikkhus.